Aujourd'hui j'ai fait
un truc un peu dingue et évidemment complètement interdit. Depuis
quelques semaines je me dis que Fred me considère comme une petite
bourgeoise coincée du cul. C'est peut-être pour ça qu'il alterne
le calculage/décalculage. Je me suis dit qu'il fallait je fasse des
trucs un peu plus rock-n-roll vu que lui je le vois se métamorphoser
en punk/new-wave à vue d 'œil. A midi, Marie-Georges, ma copine qui
écoute du hard rock et qui prend la Flèche d'Allauch avec moi m'a
proposé d'aller à Las Vegas. Marie-Georges et moi on se connait
depuis la sixième, on prend le bus ensemble tous les soirs jusqu'à
ce que mort s'ensuive. Avant, on était comme les autres filles, on
passait notre temps à la papeterie en face du lycée à s'acheter
des figurines Panini pour nos albums Lovely Doll, des gommes
transparentes qui sentent tellement bon que jamais de ta vie tu vas
gommer
Gomme qui sert à rien mais qui sent bon
avec et des étiquettes Little Twin Stars que l'on colle dans
nos carnets Pierrot Love. On bavait aussi sur les pochettes ou encore
mieux les valisettes dessinées par Gerry The Cat avec des séries de
meufs maquillées hard-chinese, coupe sanglier et giga-noeud à la
con dans les cheveux. Mais elles valaient au moins 100 francs alors
laisse béton. On passait notre temps à fabriquer des scoubidous, il
y a avait une nana complètement cinglée dans la classe qui en avait
tressé un en couleurs pastels et qui le couchait entre deux kleenexs
comme un bébé. C'était une vraie débauche de plumiers Marylin
Monroe et de stylos Charlotte aux Fraises notre classe, je te jure,
on était pathétiques. Moi, je faisais un peu gaffe, j'ai vite
compris qu'avec les 35 balles d'argent de poche que mes parents me
donnent par semaine je pouvais m'acheter des pizzas et des crêpes à
la place des gommes qui sentent bon mais qu'on peut pas manger. On
rigole pas trop dans la famille avec la bouffe, toute la famille du
côté de mon père sont boulangers-pâtissiers comme pas mal
d'italiens, je suppose. Mon grand-oncle a encore une
pâtisserie-confiserie en face du Lycée Michelet qui s'appelle “le
Petit Prince”, j'ai passé mes mercredis après-midis dans
l'arrière boutique à me gaver de sablés trois trous à la
confiture de myrtille. Il y a un miroir sur la porte pour mater ce
qui se passe dans le magasin. Quand mon oncle récupère un gros
billet de 100 ou 200 F, il le laisse pas dans la caisse, il le met
derrière planqué, il a déjà été braqué, même que c'est ma grand-mère qui
a sorti le braqueur parce que c'était Noël et qu'elle en avait
plein le cul de plier des marrons glacés dans du papier doré.
Bref,
avec Marie-Georges on était bien sage, en trip Holly Hobbie et
scoubidou, et puis ça lui pète, elle me dit laisse tomber la
cantine on va à “Las”. Moi j'ai tout de suite pigé de quoi elle
parlait, mais bon s'il y a bien un truc que mes parents m'ont
interdit c'est d 'aller là bas. Comme je l'ai déjà dit, c'est un
snack/ salle de jeu en bas de la Rue Guy Fabre. C'est surtout
fréquenté par des grands du lycée ou des gens d'ailleurs, pas trop
par des merdeuses qui collent des figurines Panini dans des cahiers
Lovely Doll. Y a quelques mecs du collège qui y vont, mais ils
essayent surtout de traîner à un autre snack le Well's Fargo, plus
fréquenté par des jolies filles de secondes qui en ont rien à
traire de leur misère sexuelle. Donc à midi, on s'escape en douce
par la rue Guy Fabre et on va à “Las”. J'ai le ventre qui
gargouille, Marie-Georges me sourit, rentre et fait la bise au
patron direct, celui qu'on appelle “Le Baron”. Il a au moins
quarante ans et pas l'air sympa du tout. Elle commande un
Americano-jambon, je ne sais pas ce que c'est mais ça m'a pas l'air
génial alors je prends un tournedos-frites avec un Indien.
(orangina/grenadine). C'est terriblement enfumé à l'intérieur, je
distingue les baby foots en enfilade, le juke-box sur la droite et au
fond les flippers. Des nanas déposent leurs sacs Longchamp derrière
le comptoir, on fait pareil. Y a une pancarte qui dit que le lieu est
strictement interdit au moins de seize ans mais on se colle des
Royale Menthol dans la bouche et on crapaute pas pour bien montrer
qu'on est vieilles. Les mecs s'excitent à mort autour du baby, ils
disent pas de gamelles, pas le droit de tirer des demis, je comprends
rien. A gauche, il y a les flippers, à droite les jeux
électroniques, on me dit que c'est des jeux d'Arcade. Moi, je sais
juste jouer au pong avec Alice, c'est un ordi rouge qui ressemble pas
mal à mon mange-disque. C'est marrant les jeux se chargent sur mon
magnétophone à cassette et la nana sur le mode d'emploi a l'air
trop zen yoga, ça dit “Le Basic en Douceur” alors qu'en vrai ça
fait trop chier mais mon père il veut qu'on l'apprenne mais ça nous
emmerde avec ma soeur alors il nous court après avec son manuel de
Basic et on fait pareil que quand ma grand-mère nous parle corse :
on se casse en courant. Je m'approche du Juke Box, il y a des tas de
45T au mur. On en a plein à la maison et des pas trop mauvais, elle
a des goûts jeunes ma mère. Elle nous a ramené Madness par exemple
Night Boat To Cairo avant
tout le monde. Ce qu'elle supporte pas c'est les chanteurs français
qui font des reprises à trois francs, genre Ringo pour Video
Killed The Radio Stars des
Buggles lui il chante
Dites moi qui est ce grand corbeau noir? Je
n'ose y croire. Elle
dit que Mireille Mathieu c'est une chèvre puissance douze qui
massacre Woman
In Love
de Barbra Streisand. Elle supporte pas les versions non-originales ma
mère, même pour Memory
elle fait la difficile, elle dit que Elaine Page l'a crée en premier
et que c'est sa version qui est la mieux pas celle de Barbra.Mon
père sorti de Brassens, Bobby Lapointe ou Reggiani, il aime pas grand chose. Il a vu plein de monde à
l'Alcazar quand il était jeune mais il dit que c'est tous des nazes,
surtout Aznavour qu'il trouve sinistre,, ah si
son exploit c'est d'avoir acheté l'album Melody Nelson par
Gainsbourg avant tout le monde. Moi j'aime pas trop Gainsbourg, je le
trouve dégueu, mais Melody Nelson c'est bonnard, surtout “Cargo
Culte', je fais que la jouer sur la chaîne de ma mère, celle que je
dois pas trop toucher parce que le saphir coûte un bras. On va poser
nos vestes sur un flipper au fond de la salle.
Putain bougez pas je reviens, j'entends un espion derrière la porte de ma chambre.
Fred, Fred, Fred, je n'ai plus que ce prénom à la
bouche. Je le vois chaque jour et j'enregistre un peu plus de
détails. Il s'est mis un ptit bonnet comme le chanteur de Talk Talk
avec juste la mèche qui dépasse. J'aime bien Talk Talk même s'ils
sont super vilains, aussi vilains que Tears for Fears. Il y a leurs
pochettes de 45T punaisés au dessus du Juke Box à Las Vegas, une
salle de jeux qui fait snack aussi en bas de la rue Guy Fabre. Je n'y
suis jamais rentrée c'est totally verboten, je pense que si
j'y mets un pied ma mère me force à porter un chignon jusqu'à la
fin de mes jours. Je sais juste que le patron s'appelle le Baron et
que les filles de Troisième qui y sont allées sont super fières
parce qu'il leur a fait la bise. Moi aussi j'ai été super fière
quand Dédé le chauffeur de la Flèche d'Allauch m' a fait la bise
pour la première fois. Dédé, c'est le seul noir de tous les
chauffeurs et il est cool, les autres ils font rien que nous
engueuler.
Donc je suis toute exaltée, à table avec Fred on se
lance des regards mortels, on appelle ça “calculer”, il m'a
calculée, il m'a pas calculée. Le décalculage, ça c'est la grosse
affaire. Ca marque mal quand on te calcule pas c'est la
grosse honte, such a shame quoi. Moi Fred je le calcule à
mort, mais Ariane (ma copine Flashdance qui met des guêtres
jacquards par dessus ses collants rose fluo) m'a dit que ça marquait
mal. Je vais encore m'énerver et
écrire comme une rageuse mais je vois pas pourquoi nous les filles
on devrait attendre comme des mozzu comme
dit ma grand-mère de Lugu-Di-Nazza en Corse. Je crois que je suis
crok' de Fredéric, ça y est mon petit cœur d'artichaut va à
nouveau morfler. Quelquefois j'ai l'impression que mon coeur c'est
comme un mini paquet de Kleenex avec les feuilles toutes serrées à
l'intérieur et une fois qu'elles sont sorties c'est trop le bordel
pour les faire rentrer à l'intérieur et l'attache en plastique elle
saute tout le temps. MARC me recalcule depuis cette semaine, il doit
savoir que j'organise une boum pour mon anif et sûrement qu'il doit
gratter . Le 9 mars, j'aurais enfin quatorze ans. Et je vais y aller
de ma boum moi aussi. En ce moment tout le monde en fait, Roland
aussi il en fait une, il me drague comme un malade, il m'a filé sa
gourmette mais j'avais déjà celle de mon pote Gabriel au poignet.
J'aime trop le prénom Gabriel alors j'ai laissé tomber celle de
Roland. On dirait qu'ils se donnent tous le mot pour me brancher
alors que moi je suis à fond sur Fred qui bouge pas d'un centimètre.
Je dois faire mon explication de français pour demain c'est un poème
de Prévert “Le Désespoir est assis sur un banc”. Le mec qui
vous appelle quand on passe ou simplement qui vous fait signe mais en
vrai il faut se tailler sinon on est trop malheureux avec lui. Comme
Fred en fait, il bouge pas plus qu'un mozzu, un bout de bois mort. Ou
le chanteur de Talk Talk, qui remue à 2 cm à l'heure alors que la
vie se déroule à cent à l heure en arrière-plan.
Oh
merde, je suis retombée sur mon ancien journal. Mwahaha mort de
rire! Il est super nunuche, on parlait de Sarah Kay la dernière fois
mais rien que la couverture ça vaut son pesant de cacahuètes!
Dedans
c'est mortel Je parle pas beaucoup de garçons parce que c'est gênant de l'écrire même maintenant mais
c'est cet été là que ça a commencé les slows les bisous et tout
le bordel.
C'était
l'été du slow de PhD, en fait moi je comprenais rien en anglais à
l'époque. Je fredonnais juste le refrain en disant “I wannu lai
iou donne” mais je pigeais pas, je pensais que le mec il voulait
larguer la fille et il lui disait et je pensais “Mais quel
enfoiré!!”
En
vrai, les paroles c'est pas du tout ça.
I
won't let you down, no I won't let you down I
won't let you down, my love
Ca veut dire je VEUX PAS te
quitter!
C'est
le premier slow que j'ai dansé au bal de la Madrague de Gignac.
C'est un slow un peu étrange. Pas vraiment un truc larmoyant
avec des déluges de guitares ou des nappes de synthés genre “Hotel
California” ou les 10 CC's avec “I'm not in love” (quel enfoiré
le mec pour le coup là c'est vrai, je suis pas amoureux mais je te
fure quand même, bonjour la mentalité )!. Le couplet pouvait
presque se danser séparés, sur un rythme proche du reggae, on avait
l'air un peu con, on savait pas trop quoi faire. Puis hop le refrain
et alors là scotchage contre le partenaire. J'ai pas eu de bol,
c'est un gros moche qui m'a invitée en premier, on l'appelait Olive,
ça vous donne une idée du canon que c'était. Moi je craquais sur
un autre, un petit brun qui répondait au doux nom de Sifflet, parce
qu'il sifflait tout le temps avec les doigts dans la bouche, ça
m'impressionnait vachement. C'était la mode des chaussures en
plastiques, j'en avais des blanches nacrées que je portais avec une
jupe vert d'eau d'inspiration indienne achétée au marché de Carry
le Rouet. Je me trouvais très belle comme ça, je doutais de rien il
y a deux ans! Enfin, je me suis trouvée belle jusqu'au jour, juste
avant le bal d'ailleurs, où ma mère a eu la bonne idée de me
couper la frange et me dégrader les cheveux pour faire une coupe “à
la lionne” et là ça a été la fin.
Cet
été-là à la Madrague de Gignac, je passais mes après-midis
affalée dans la chambre d'hôtel d'Ingrid. C'était une copine de
vacances, une allemande, brune aux yeux noirs et très bronzée, on
aurait plutôt dit une italienne. Elle avait un succès terrible tous
les garçons lui couraient après et Sifflet en particulier. J'etais
verte, je la trouvais pas géniale, le seul truc c'est qu'elle avait
presque quatorze ans, des seins et des fesses couverts de vergetures
et qu'elle laissait les mecs y mettre les mains partout. Moi les
vergetures je fantasmais dessus je trouvais que ça faisait dame,
pour vous dire un peu mon niveau de connerie.
Maquillage du Soir et Coupe Sanglier.
Dans
sa chambre on foutait rien à part se mettre du bleu sur les yeux
avec les palettes Arcancil. Moi j'y comprenais rien quelle couleur il
fallait mettre et où donc je dévorais des tonnes de magazines à
la con genre Girls ou OK Podium et là ça t'expliquait tout :
comment estomper les ombres à paupières avec un pinceau en poils de
martre après l'application au truc en mousse que tu trouvais dans la
boîte. Le rose et l'orangé, par exemple, fallait le dégrader
jusqu'aux pommettes. Il y avait un maquillage comme ça, ca
s'appelait “Le look Hard Chinese” à ne reproduire que dans des
circonstances exceptionnelles précisait l'article. Il fallait bien
faire la différence entre le maquillage de jour (crème teintée,
poudre libre, un soupçon de mascara et de gloss) et le maquillage de
soirée où l'on pouvait oser le triplé crayon contour des yeux, duo
d'ombres à paupières à étirer avec le pinceau comme j'ai dit plus
haut. Les filles ressemblaient toutes à Pia Zadora dans le clip avec
Jermaine Jackson mais en moins mordorées plus colorées, au moins au
niveau du maquillage et les cheveux en pétard, crêpés à mort. Les
photos faisaient mal aux yeux, les fringues avaient des couleurs pas
possible, les bandanas et les mitaines étaient fluos bien visibles
dans la lumière noire. Ma mère nous avaient acheté la panoplie
complète à moi et ma soeur, tu peux dire ce que tu veux mais elle
nous a toujours fringuées up to date même si maintenant même
pas en rêve elle me file ses conseils en relooking j'ai assez morflé
comme ça avec la Coupe Sanglier. Elle y était cette putain de coupe
dans Girls aussi, l'article disait qu'elle se remettait en
place toute seule, à peine travaillée au gel avec les doigts. Et
mon cul c'est du poulet?
Les Merveilleux Cadeaux de Miss OK
Le
truc qui me fascinait aussi, c'était Miss OK et son élection. Il y
avait un bulletin à remplir, “Deviens toi aussi la Miss Ok 1982!”
et il y avait la tête de vainqueur de la nana de l'année d'avant
avec tout le bordel adéquat : la mini-vague, le bandana vert-fluo,
le maquillage jour/nuit et de grosses créoles pleines en plastique
orange ou violet. Elle était entièrement relookée et couverte de
cadeaux : en double page on lisait “Découvrez les merveilleux
cadeaux de Miss Ok”. Ca allait du walkman à la palette de
maquillage avec pleins d'étages différents et des ombres à
paupières tant que tu veux. A l'époque, je rêvais d'avoir les
yeux bleus des mannequins dans les pubs Rive Gauche de Saint
Laurent. Je découpais leurs yeux lourdement fardés pour les coller
de notre chambre en lambris au Cabanon, même que je m'étais faite
ouvrir par ma mère. En plus Miss OK se faisait du fric, 30 f par
jour pour mettre des créoles en plastoc c'était quand même bien
payé.
Tête de Vainqueur.
Pour
accéder au monde merveilleux de Miss Ok, il fallait remplir un
bulletin et recueillir les signatures des amis attestant que l'on
méritait d'être la fille la plus OK de l'année. Je l'ai souvent
regardé ce bulletin mais rien que ça c'était glaçant. Tu te vois
aller gratter l'amitié pour qu'on te signe que t'es une fille trop
OK? Laisse béton.
On
en discutait avec Ingrid, de ça, de la boum de Sifflet et du bal de
la Redonne. Elle se baladait toute nue dans la chambre ou avec des
culottes à raies genre Petit Bateau mais en pire. C'est les
allemands ça, je suis allée dans un genre de piscine/ sauna l'été
dernier à Mannheim toutes les meufs étaient à poil avec des
Birkenstocks aux pieds, surtout les vieilles, ça m'a un peu
dégoûtée. Elle se foutait du déodorant partout aussi, même là
où je pense, ça m'a choquée, des marques allemandes au packaging
pas terrible. Moi cette année je suis allée m'acheter toute seule
ma première palette Arcancil (mordorée) et un déo Sintony au Prisu
des Cinq Avenues. J'adore ce déo, il est tout petit, je le mets dans
mon sac Longchamp. La pub Sintony c'est de la drogue dure, la fille
ressemble pas mal à une Miss OK en mode maquillage de jour et donne
une gifle à un garçon et sa main laisse une marque en forme de
coeur sur la joue du gars. Mais c'est surtout la musique qui reste
dans la tête, ils en ont même fait un 45 tours.
Geste
moqueur,
Un
Coup de Coeur
Sintony,
Sintony
Dessus,
dessous parfume partout
Sintony,
Sintony
Mon
arme, c'est un coup de charme.
Sourire
câlin, geste coquin.
Une
couleur pour chaque parfum!
Et
la nana a le tee-shirt assorti à la couleur du déo!
Le
seul truc, c'est que moi, je pensais que les gifles aux mecs, ça se
collait en vrai dans la vie sans problèmes. A la boum de Sifflet,
j'ai mis deux vrais taquets au gros Olive qui m'a roulé une pelle
avec la langue sans prévenir. Enfin, si il m'a prévenue, il m'a
dit “Est-ce que tu veux sortir avec moi?” . Moi, j'avais pas
compris, je pensais que ça voulait dire aller au cinéma ensemble.
Et j'ai repensé à cet épisode du primaire où un type m'avait
demandé si je voulais lui “tailler la pipe” rien que pour voir
si j'avais pigé et aussi à cette lettre dans le courrier des
lectrices de OK magazine intitulée “C'est pas drôle de sortir
avec un glaçon”, à cette pauvre fille qui se désespérait parce
que c'était le motif de rupture de son petit ami. Tout à coup une
espèce de fureur m'a saisie, je me suis dit que je m'en carrais des
conseils en séduction de OK magazine, en gros se maquiller, se
coiffer pendant des heures et attendre qu'un gros type vous fasse sa
mayonnaise dans la bouche, je trouvais ça débile d'un coup. Je ne
savais pas ce qu'on dirait de moi sans doute que j'étais folle comme
d'habitude. C'est là que j'ai commencé à m'en foutre et depuis
quand ça me reprend, je me dis qu'il peuvent tous se mettre un déo
Sintony là où je pense et faire l'avion avec. Tout ce que j'ai
gagné cet été là, c'est de me faire bannir de la Madrague de
Gignac et lorsque Ingrid s'est barrée, j'avais même plus la chambre
d'hôtel pour traîner sur les Ok magazine éparpillés sur le lit.
J'ai
mangé à la cantine toute la semaine, une semaine à base de
Quenelles Roses Dégueulasses, de Frites Grasses A Éponger Au
Kleenex, de Macédoine Rance et de Mac -Gerbal mais ça ne fait rien.
J'étais à la table de Frédéric et pour la première fois on s'est
vraiment regardé dans les yeux lui et moi. Il les a détournés
immédiatement comme s'il avait peur. On a joué au chat et à la
souris comme ça toute la semaine. Mardi, il m'a donné son Ménélik en disant qu'il n'aimait pas mais moi je sais qu'en réalité il
adore. Il a fait ça sans me regarder et comme s'il ne me parlait pas
mais j'ai pigé le subtil message. Çà m'a remuée et j'ai senti mon cœur qui accélérait.
Mais
on s'était toujours pas adressé la parole, il a l'air un peu
timide, un peu comme un enfant, je sais pas, je le trouve
hyper-touchant. J'ai continué la communication sur le même mode,
messages codés type je fais tourner la queue de ma pomme en récitant
l'alphabet jusqu'à qu'elle casse et comme par hasard, ça tombe sur
le F. Jeudi, attention grand frisson j'ai lancé une série de
blagues débiles même pas dignes d'un papier de Carambar et il m'a
écouté attentivement avant d'éclater de rire .
Vendredi,
je l'ai testé grandeur nature. Comme c'est un peu le chef de la
table, il est assis en bout et il se sert en premier (même s'il me
sert toujours juste après). J'ai pris sa place alors juste pour
voir, il m'a dit de m'en aller mais tout doucement alors comme je
suis pas la dernière des connes, je lui ai lancé mon regard
suppliant de victime numéro 18. Il a accepté presque sans broncher
et est allé s'asseoir contre le mur avec la peinture qui
s'écaille, c'est là où on est le plus mal servi. Franchement,
c'est la première fois que je faisais un truc pareil et j'étais
assez fière.
Ce
matin, j'ai découvert mon prénom gravé sur une table entouré de cœurs. Mon coeur a raté un battement, c'est vrai je l'ai senti
comme dans cette chanson des Pet Shop Boys.
My
heart starts missing a beat My
heart starts missing a beat every
time Oh
oh oh, every time
Jamais
depuis mon flirt avec Jean (celui qui me faisait les devoirs de
latin) un truc pareil ne m'était arrivé.
J'en
ai parlé à Ariane, elle était verte. Çà fait cinq mois que les
mecs nous ont mis en quarantaine, depuis que Marc a cassé pour moi
et elle, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce qu'elle est ma
copine, ça doit être contagieux . C'est une super bonne danseuse,
elle fait du Modern Jazz depuis 100 ans. La choré de Flashdance,
c'est les doigts dans le nez pour elle. On est toutes à fond sur
Flashdance, on a toutes acheté des guêtres de danseuse qu'on met
par dessus les collants pour faire style on sort du cours de danse et
on va passer une audition mais en vrai on fait pitié. On a beau
s'agiter, transpirer avec les cheveux partout, on est des quiches,
enfin moi surtout. J'ai bien essayé la danse classique quand j'avais
10 ans avec une Madame Longuépée, je te jure ça s'invente pas,
mais rien que le chignon je supportais pas, avec les crochets qui
rentraient bien dans le crâne. Les crochets c'est une obsession de
ma mère, je déteste, déjà j'ai horreur qu'on me touche les
cheveux. Pour faire un chignon, c'était juste un enfer, elle filait
des coups de brosse violentissimes, puis elle faisait une queue de
cheval super haut sur le crâne, rien que ça, c'était la mort
lente, puis les crochets qui raclaient bien le cuir chevelu pour
m'achever. Je me sentais saigner des tifs. J'ai tenu un trimestre
avec le chignon, le cache-coeur et les collants chair : demi-pointe,
pointe, demi-pointe, talon, fermé, demi-plié, tendu puis j'ai
dit fuck. Maintenant je me contente de copier les chorés de
Flashdance ou de Footloose et je mets des guêtres vertes par dessus
mon collant rose. En fait, j'ai trop envie d'être la Ptite Lady de
Vivien Savage dans ma tête, avec les collants pink fluo et un
chapeau à voilette sur la tête mais hors de question que je me
barre avec un mec à Perfecto et mèche blonde sur les yeux, je reste
juste là coincée sur les quais du Métro La Rose ou Cinq Avenues où
je fume des Royale Menthol pour me la jouer.
Après
la cantine donc, je suis montée dans les étages du Bâtiment
Central avec Anne-Lise comme d'hab, c'est le bâtiment qui est
complètement Zone Interdite par Saporella mais en fait il y a des
toilettes trop chouettes, des toilettes de filles qui ferment, des
vraies toilettes pas à la turque, avec des miroirs, du papier et des
poubelles. Frédéric nous a vues passer, il était au premier avec
ses potes, les toilettes sont au deuxième. Un de ses copain a dit
“La voilà.”Il m'a suivie et depuis il me suit tous les midis
dans les étages.
Sarah Kay : Bien Sage!
C'est
dingue, j'arrive toujours pas à me dire que ce mec a un crush
pour moi. J'essaye d'en savoir un peu plus sur lui mais c'est pas
évident sans attirer l'attention. Je suis allée faucher la feuille
d'appel des 4e 6, juste pour vérifier sa date de naissance et j'ai
vu qu'il avait un an de retard. C'est pas un intello donc et
d'habitude les pas-intellos ils me jettent plutôt des pierres, en
tout cas c'était comme ça en CM2. J'avais que des doublants dans ma
classe, personne ne me parlait sauf pour me faire chier ou me tendre
des embuscades à la sortie parce que je faisais que lire (quoi faire
d'autre quand personne ne vous calcule à la récré), que j'étais
Prix d'Excellence (c'était pas dur, ils étaient tous nuls) et que
j'avais déjà écrit ma première pièce qu'on a joué pour mon
anniversaire. (avec ma grand-mère et ma grand-tante parce que pas
d'amis).
Pierrot Love Starter Kit!
Dans
mon carnet de poésie Pierrot Love, j'ai écrit un poème sur ses
yeux pers. Je l'ai écrit dans la partie qui a les pages vertes à
tranche argentée. Je me suis fâchée avec Marie-Angélique (une
copine qui prend la Flèche d'Allauch avec moi) qui dit que j'ai
copié le poème du bouquin de Français d'un mec qui écrit sur les
yeux de sa nana qui s'appelle Elsa ou un truc comme ça, avec des
noyés et des désespérés. Je reconnais que j'ai un peu pompé mais
peut être que si je le traduis en anglais ça passera mieux et puis
lui ça m'étonnerait qu'il s'en aperçoive. J'en ai marre, on fait
que nous offrir des journaux intimes avec des cadenas à la con qui
servent à rien, Pierrot Love ou Sarah Kay, il y a des tonnes de
pages à remplir et ben merde moi je les remplis, même si c'est
qu'avec des conneries. D'abord, moi je reçois jamais de poèmes,
personne ne m'en envoie alors je vois pas pourquoi je me priverais
d'en écrire. Je sais pas si c'est une très bonne tactique pour
draguer les garçons, en fait d'écrire pour eux pour qu'ils vous
trouvent plus belles qu'en réalité. Pour l'instant, j'ai rien
montré à personne, y a quelques mecs de ma classe qui me voient
avec mon cahier Pier Import. Je pense qu'ils ont décidé que j'étais
irrécupérable, ils peuvent crever pour que je leur montre le début
de la queue de ce que je gribouille. C'est fini le CM2, maintenant
plus personne ne va m'emmerder et si je veux écrire à un mec pour
dire qu'il a de beaux yeux ben je le fais .
A
la récré de 16h , Denis est venu pour monter la cabane, en gros
pour savoir si je voulais sortir avec Fred. J'aime pas trop ce type,
sous prétexte qu'il a un Dax, un Chabrand et une belle gueule, il se
croit tout permis. Il en a profité pour me peloter mais je me suis
dégagée et je me suis retenue de lui envoyer mon pied dans les
couilles. Ce que ça peut être nul d'être une fille parfois! En
gros on n'a que le droit de fermer sa gueule sinon on se fait ignorer
de Balzac et on finit seules comme des merdes. Donc Denis a viré ses
bras de mon cou, m'a dit “Faut que je te parle” et m'a entraînée
dans la Cour d'Honneur, là où on se planque pour fumer et furer.
Frédéric qui était à côté a dit “N'écoute pas ce qu'il a te
dire!” . Denis m'a lâchée et s'est barré avec ses potes.
Çà m'a rappelé un épisode, l'année dernière, un bon copain de 5e 2
(les Soviétiques), m'a tenue un quart d'heure dans la Cour d'Honneur
pour soi-disant me parler d'un truc important mais au final ne m'a
rien dit. Je me dis peut-être qu'en vrai ils sont autant morts de
trouille que nous, peut-être que pour eux c'est pire, ils ont la
pression mais à l'envers. Peut-être qu'ils échafaudent des plans
sans fin qu'ils n'osent pas mettre en application. Peut-être qu'ils
voient les filles passer, les mecs défiler, en spectateurs, devenant
chaque jour un peu plus un ami et un peu moins un amoureux.
Peut-être que c'est à nous d'aller les chercher. Peut-être qu'il
aiment perdre après tout. Peut-être que ce sont eux les vraies
filles. Peut-être que c'est pour ça qu'ils meurent en premier à force de se taire et de pas savoir quoi dire.
Bordel! J'ai m'impression d'être dans cette chanson de Regrets avec la chanteuse complètement jetée, Agathe. (tiens elle a un chignon elle, faut que je lui demande sa technique). J'en ai marre d'être une gentille fille Sarah Kay qui rêve de devenir instit' et de se marier avec un garçon bien nice qui lui offre des fleurs en rougissant, bien sage comme me disait ma grand-mère quand j'avais fini mon assiette. C'est terriblement ennuyeux d'être bien sage, d'attendre qu'on m'invite à danser ou à furer dans la Cour d'Honneur. PLUS JAMAIS BIEN SAGE !!! (note de la blogueuse : furer : rouler des pelles en parler marseillais).
C'est intelligent, j'ai envie d'tuer De ram'ner le corps d'un garçon joli Pour le tenir blotti ce soir dans mon lit, non…
J'veux pas rentrer J'veux par rentrer chez moi J'veux par rentrer chez moi seule
Je
suis descendue du 11 à l'arrêt qui se trouve juste devant chez
moi. J'ai vu à nouveau ce couple d'aveugles, un homme et une femme,
ils ont peut être vingt-cinq ans mais je sais pas leur donner d'âge.
Ils ont des cannes blanches tous les deux. Lui en fait est juste
malvoyant puisqu'il la guide, son iris part dans le mauvais sens, .
Elle a des lunettes fumées et on dirait que ses yeux sont enfoncés
dans leurs orbites. Lui il peut même lire mais il est obligé
d'approcher la fiche horaire de la Flèche d'Allauch très près de
des yeux. Je sais pas pourquoi ils me fascinent autant. C'est la
façon dont ils peuvent compter l'un sur l'autre je crois, ou leurs
yeux qui ne servent plus à rien. Peut-être parce qu'ils font le
même trajet que moi, bus-métro assez souvent pour que je les
croise.
Je
suis rentrée à la maison mais je suis vite ressortie pour me caler
près du puit de notre jardin. Comme ça, je peux fumer ma Royale
Menthol tranquille, c'est une longue, un 100's que j'ai piquée dans
le paquet de ma mère. J'ai appris la semaine dernière à aspirer la
fumée, à ne plus crapauter parce que ça fout la honte, à la faire
rentrer dans mes poumons et la recracher. Comme ça les Grands se foutent plus de moi. Je dis “les Grands” c'est juste
les mecs de Troisième qui ont redoublé, ceux qui fument
planqués dans la Cour d'Honneur pour faire croire qu'ils sont en
seconde qui friment parce qu'ils ont des Daxs ou des
Chapis des mèches sur le côté. En vrai c'est juste des mecs normaux mais
en plus cons et plus frimeurs, ils ont les mêmes Chabrands,
Burlington et Wayfarer que les autres en fait. Mais ils se prennent
un peu pour des coqs à la Tom Cruise dans Risky Business et nous les filles on fait partie de leur basse-cour .
Je suis donc là, calée la tête appuyée contre le crépi
rose du puits et je me concentre sur ma Royale Menthol. C'est
bon, c'est frais, même si ça fait tourner la tête, je repars dans
les yeux des Sylvidres, mon journal contre moi, les roses trémières
se mêlent à mes cheveux. Je repense à ce territoire infini que
j'ai aperçu. J'ai des jungles dans la tête depuis longtemps, depuis
que ma mère m'a prêtée sa boîte de pastels pour je ne sais plus
quel dessin naze où j'ai du avoir un note de merde encore. (mon
prof de dessin c'est un authentique connard qui humilie bien les
élèves mais un des ces quatre je vais soigner son portrait ). Je me
suis éclatée avec cette boîte, même si je ne sais pas colorier
comme vous le savez. Je me suis mise à
traquer la moindre nervure de feuille de ficus dans les pots de terre
de la véranda et Dieu sait que j'en avais rien à foutre des plantes
auparavant, pour me perdre dedans et me retrouver dans le territoire de l'Inini. Je sais pas ce qu'il m'a pris, c'est devenu une
obsession de dessiner ces jungles, peut être que j'ai dans la tête
un endroit en bas de mon village en Corse. Ça
le Trou du Diable
s'appelle le Trou du
Diable, là bas on dit on va se baigner “au fleuve”, on y voit
des cascades blanches se jeter dans des vasques d'eau noire, tout y
est incroyablement vert et je me dis que ça doit ressembler à ça
l'Orénoque ou l'Amazone. C'est un endroit dangereux, des gens y sont
morts, des jeunes emportés par une crue mais c'est tellement beau
et sauvage . Je repense aussi à Raymond Maufrais dont mon père me
faisait lire le journal quand j'étais petite. Ça me fascinait ce
type parti seul sur la piste de mystérieux Indiens blonds, englué
dans les jungles de Guyane délirant de faim pour finalement se jeter
à bout de force dans les remous de la rivière Mata et y
disparaître en laissant son carnet de notes derrière lui. Je
repense à tout ça et je pense à cette chanson d'Yves Simon Amazoniaque, c'est un peu idiot, je n'aime pas trop les chansons
françaises mais pour le coup les paroles sont magiques.
Mes
nuits d'insomnie j'me perds dans les forêts d'Amazonie Dans
tes ch'veux, tes bras qui m'enserrent, c'est bien là que j'me
perds Les indiens
d'Amazonie attrapent au cœur des maladies Contagion
express envoyée par courrier civilisé
ma jungle au pastel
Je
sais donc où j'ai vu ce mec avec ses yeux de Sylvidre. En fait c'est
pas du tout au fin fond de l'Amazonie mais au fin fond de la cave qui
nous sert de cantine, au réfectoire quoi. J'explique en début
d'année on a réparti les tables selon les classes, moi je suis en
4e 1 donc ben j'aurais du être avec les gars de ma classe sauf que
mon nom commence par un R, donc fin de l'alphabet égale malédiction,
y avait plus de place et je me suis retrouvée exilée à la table
des 4e6. Comme ça, ça l'air de rien mais en fait c'est un truc
hyper important, nous les 4e1 je l'ai dit on est une classe CAMIF,
bilingue allemand avec latin machin donc on est considéré
comme des gros lèches dans ce bahut. Mes parents ont du faire des
pieds et des mains pour m'y faire rentrer, il fallait une dérogation.
Les 4e2 ils ont Russe en première langue donc c'est des phénomènes
aussi, avec des parents encore plus profs que les nôtres qui votent
tous PCF et qui pleurent sur la trahison de Mitterrand, les 4e3
c'est allemand mais pas bilingue. Donc en gros de 1 à 3 t'es un
intello et de 4 à 6 t'es dans la dead zone avec les zombies et les
loup-garous! Tout ça pour vous dire que me retrouver à la table des
4e6 c'était pas innocent et que je faisais pas la maligne de peur de
me faire tirer les tresses et traiter de boudin même si je suis plus
une victime comme en CM2. Et à ma table, il est là ce mec aux yeux
verts et à la peau très blanche, un mec de 4e6 donc. Au début de
l'année, je le regardais même pas, il me faisait peur et puis il
était super mal fringué, un jean neige horrible des trucs de chez
Harry Landers trop moches. Là il a coupé ses cheveux, il s'est
acheté des Creepers et un pardessus maxi fendu jusqu'aux fesses. Il ressemble à Norman. Comme ça et avec ses yeux verts un peu comme ceux de David Bowie, même
si Dave est incomparable, il est vraiment craquant. Il a les yeux
pers, j'ai appris ça quand ma mère me parlait de l'Odyssée,
Athénée aux yeux pers, Athéna Nikè, la déesse aux yeux verts.
(une fois la mère de mon amie Bérénice est entrée dans un
magasin en demandant des Nikè pour sa fille ça nous a fait mourir
de rire mais Nikè c'est la victoire, c'est ça d'avoir des mères
qui ont fait du grec.)
En
fait en fouillant un peu, j'ai découvert que ce mec s'appelle
Frédéric. En vrai, on se connaît pas, on se fait pas la bise ni
rien. Mais là, j'avoue que son regard pers m'a troublée, qu'est-ce-qu'il
veut ? Est-ce qu'il serait possible qu'il veuille sortir avec moi? Est-ce qu'enfin je pourrais connaître un deuxième rêve tout aussi beau que le premier ?
Il
faut que je découvre ça au plus vite, j'ai hâte. Je retourne dans
ma chambre pour mettre
le 45T d'Alan Parson's Project dans mon mange
disque PEPITO.
I
am the eye in the sky Je
suis l'oeil dans le ciel Looking
at you Qui
te regarde I
can read your mind Je
peux lire tes pensées I
am the maker of rules C'est
moi qui établit les règles Dealing
with fools Qui
manie les imbéciles I
can cheat you blind Je
peux tricher tu n'y verras que du feu And
I don't need to see any more Et
je n'ai plus besoin de disposer de la vue To
know that Pour
savoir cela I
can read your mind, I can read your mind Je
peux lire tes pensées, je peux lire tes pensées
J'écris
de la permanence où j'ai été séquestrée par le principal adjoint
Saporella, qu' Hydargos le maudisse! Ce mec c'est Pinochet ascendant
Thatcher, le geôlier du collège. Si t'as le malheur de le croiser
dans le couloir en dehors des heures de cours avec son manteau
marron-caca, t'es sûr que t'es archi-mort avec personne pour même
venir oser cracher sur ta tombe. Il te chope je te jure que tu prends
perpète de permanence sans espoir qu'Amnesty International fasse
signer une pétition. En gros, t'es prisonnier des geôles fascistes
pire qu'Abel Chemoul.
Bon
après, on a été séquestré parce qu'on a un peu déconné,
j'avoue. Enfin moi j'y suis quasiment pour rien ou presque. Vous
vous souvenez de la salle d'Histoire Géo, celle où j'ai chialé
toutes les larmes de mes treize ans quand Marc a cassé? Bin une de
ses fenêtres est située au dessus d' un escalier qui mène au préau
de la cour des bâtiments Louis Grobet . ( Notre bahut c'est super
compliqué en gros l'entrée du collège se fait par la rue Louis
Grobet d'où le nom des bâtiments tandis que l'entrée du lycée se
fait par la rue Guy Fabre, le seul truc que vous devez comprendre
c'est qu'on se fait défoncer quand on est dans les bâtiments du
lycée ou quand on essaye de s'échapper par la rue Guy Fabre pour
aller s'acheter une pizza à dix heures, toujours par Saporella et
ses sbires, de toutes façons, on se fait dynamiter quatre-vingt dix
neuf pour cent du temps rien que respirer c'est dangereux dans ce
bahut de merde).
Bref, inutile de vous dire que c'est pas très compliqué de se
hisser sur le rebord de ladite fenêtre, on peut même s'y caler si
on est pas trop nombreux et on s'en prive pas pour être un peu
tranquille après la cantine sauf que of course c'est méga-verboten.
Aujourd'hui il pleuvait, alors on s'est serré à mort pour
s'abriter, d'habitude on est cinq-six maxi, là on était au moins le
double, assis les uns sur les autres et évidemment c'est parti en
laïve, ça a commencé à se pousser, il y a eu deux-trois baffes
échangées et à un moment ben à force de se pousser et de se
mettre des taquets, je sais pas comment c'est arrivé, on a dû appuyer comme des barjots sur la vitre et elle a cédé, en gros
elle a explosé sous le poids et moi qui était dessous le moulon ben
je suis passée à travers et j'ai atterri de l'autre côté dans la
salle, contre la grille du radiateur. Tout le monde gueulait, c'était
un bordel pas possible et puis ceux qui étaient au dessus du tas ont
commencé à se barrer en courant. Ceux du dessous, ou ceux qui
avaient un brin d'humanité sont restés pour voir comment j'allais
mais moi j'étais ni mutilée ni rien, ma première réaction ça a
été de hurler de rire en fait et c'est là que Saporella nous est
tombé dessus. Il est arrivé en mode iroquois, il a surgi
de nulle part, le mec a une technique trop sournoise, on l'entend
jamais arriver du coup gros coup de filet et BIM tous en permanence jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Réflexe
numéro un, bien que l'infâme Saporella nous ait filé un devoir a
faire, j'ouvre mon journal, comme à chaque fois que je m'ennuie.
J'ai commencé à traduire les paroles d'une chanson de Billy Idol,
un peu ballade, pour une fois qu'il est pas en mode punk à clous trop
énervé avec son sneer, son truc avec la lèvre de travers
là.
La
chanson c'est Eyes Without A Face, c'est le titre un vieux
film français aussi je l'ai vu au Cinéma de Minuit avec le
générique plein d'yeux de stars du cinéma justement mais à mon
avis Billy Idol il doit pas le savoir, c'est pour ça que le refrain
de la chanson est en français : Les Yeux Sans Visage, enfin
c'est ce que j'imagine.
I
spend so much time Believing
all the lies To
keep the dream alive Now
it makes me sad It
makes me mad at truth For
loving what was you
J'ai
passé tant de temps/
A
croire tous ces mensonges/
A
garder ce rêve vivant/
Maintenant
ça me rend triste/
Ça me
met en colère contre la vérité/
D'avoir
aimé ce que tu as été.
C'est
fou comme encore les paroles me parlent de Marc et d'un coup d'un
seul je comprends que c'est fini que je suis encore triste et en
colère mais que je ne l'aime plus et que même à la rigueur je me
demande ce qui m'a pris. Après tout comme le dit David, qui sait
s'il m'a jamais aimée? Tout ça pour un Take Care Rio écrit au Ball
Pentel sous la pluie. C'est Billy Idol qui a raison, ça rend barge
la vérité.
Je
finis mes traductions de paroles et je me mets à dessiner des yeux.
J'ai commencé en sixième je crois et je ne me suis plus jamais
arrêtée. Ca m' a pris à cause d'Albator, le dessin animé. Ses
ennemies ce sont les Sylvidres avec leur reine Sylvidra et en gros
elles veulent envahir la terre. Ce ne sont pas des vraies femmes en
fait ce sont des plantes mais elles ressemblent à des sirènes ou
des nymphes, elles ont de longs cheveux et des yeux pas possibles
avec des cils de dix kilomètres. Elles ont la peau blanche comme
Isabelle Adjani et quand elles meurent elles poussent un cri strident
qui fait très peur et elles brûlent dans une flamme verte vu que
c'est des plantes à la chlorophylle, sauf leur reine Sylvidra, elle se bat contre Albator et on s'aperçoit qu'elle saigne rouge et qu'il
y a une embrouille mais ça c'est à la fin. Donc moi , au début je
voulais dessiner des Sylvidres en entier mais c'était très nul,
j'ai fini par ne plus faire que les yeux et les maquiller à mort.
Les
dessins animés japonais de chez Dorothée, c'était un champ de
bataille à la maison. Au primaire, tout le monde matait Goldorak
avec ses astéro-haches pour niquer la gueule au Golgoth 13 de
l'infâme Hydargos mais nous on avait pas le droit, mes parents
trouvaient que c'était débile. Mon
HYDARGOS
père m'a expliqué que la
qualité n'avait rien à voir avec les Disneys qui filment trente-six
dessins à la seconde, que les trucs japonais c'est vraiment cheap .
Il a réalisé un dessin animé mon père, il y a longtemps avec les
personnages des Shadoks. Il a des bouquins qui en parlent, avec les
techniques de réalisation etc... C'est sûrement vrai tout ce qu'il
dit et même s'il me laisse regarder les Tex Averys à la Dernière Séance, moi j'aime bien voir Candy qui court avec le décor qui
bouge pas derrière. Candy j’étais méga-fan aussi, elle est trop
forte, tous les mecs se l'arrachent et pas les plus moches, le Prince de la Colline, Anthony, Terry Grandchester (mon préféré, c'est
trop un bad boy). Candy c'est l'équivalent d'Angélique, elle se
laisse jamais abattre même quand on la fait chier genre Elisa et Daniel avec leurs yeux rouges. Je me rappelle au primaire,
le jour où Anthony est tombé de cheval, moi j'avais raté l'épisode
et tout le monde est arrivé en disant “Anthony est mort “ et
j'ai maudit mes parents. En rentrant, je me suis jetée sur la télé
pour tomber sur Dorothée qui expliquait qu'Anthony était pas mort
finalement, juste blessé et je me suis dit que ça puait l'arnaque. J'ai su la vérité un peu plus tard lorsque mon père m'a fait lire
un article de Télérama qui expliquait que le standard d'Antenne 2
avait explosé et que du coup ils avaient été obligé de changer le
doublage en catastrophe et faire croire à une blessure, je me
rappelle ça disait “Et Anthony, enterré au Japon soigne toujours
ses côtes cassées en France”. Ça m'a fait rire et je me suis dit
que mon père avait raison c'était quand même un peu de la merde.
J'ai été moins accro à Albator mais les Sylvidres elles m 'ont
sciée et j'ai commencé à dessiner leur yeux verts sans m'arrêter. (note de la blogueuse : impossible de trouver une version française de la mort d'Anthony, puisque censurée au pays de Dorothée donc bah la muerte de Antoni, ça me paraît explicite)
J'écris
du bus maintenant, le 11, “La Flèche d'Allauch'” comme on la
surnomme.
J'en
étais là donc à dessiner des yeux sans visage, comme dans la
chanson de Billy et j'ai senti quelque chose glisser sur mes cheveux
et en même temps j'ai entendu un chuchotement à mon oreille comme
un soupir de Sylvidre ou peut être que c'était l'oeil-chorophylle
dans lequel je m'étais un peu perdue, j'en sais rien mais il s'est
passé un truc pas net et j'ai levé la tête.
Et
puis j'ai vu ce regard au dessus de moi. Deux yeux verts, les
mêmes que ceux de la chanson de David “Cat People” vous vous
souvenez? Des yeux plus froids que la lune, j'ai cru que Sylvidra
m'avait captée et qu'elle allait me balancer à Saporella, lui
cafter que j'étais en train de dessiner les plans d'évasion genre
Edmond Dantes au Château d'IF.
Au
bout d'un moment, je suis revenue à moi dans la permanence et j'ai
compris que c'était pas du tout une Sylvidre qui me matait mais un
mec de Quatrième qui me disait vaguement quelque chose. Au moment où
je l'ai regardé, il a détourné les yeux aussi sec et je me suis
demandée si je n'avais pas rêvé.
Putain
je SAIS où j'ai vu ce mec!
Merde, le bus démarre, galère d'écrire,
je reprends plus tard.
Je ne sais pas si je vous ai parlé de mon secret. J'ai un secret comme toutes les filles mais pas un secret en bois que je répète qu'à ma meilleure amie qui va me jurer que ça sortira pas des Bouches du Rhône, non un vrai secret dont je n'ai parlé à personne. Je parle à David Bowie et il me répond! Je sais pas si je vous ai dit que c'était mon idole? Quand j'étais petite en 6e ou en CM2, j'avais pas d'idole. Quand j'allais en boum ( c'était pas des vraies boums, il y avait que des filles), je disais que je n'aimais pas la musique moderne, je racontais que je n'écoutais que le Lac des Cygnes, le 33 tours Deutsche Gramophon que mes parents m'avaient offert. En fait, ça vient de encore plus loin, plus petite encore, j'avais un de mange-disques orange marqué PEPITO où je faisais jouer mes quarante-cinq tours préférés, des contes dit par des mecs que tu vois jamais à la télé Claude Dauphin, François Périer et Christiane Minazzoli, je me souviens. Mon préféré était celui du Vilain Petit Canard parce que c'était trop moi, trop petite, trop maigre (bon les RAIDERS sont passés par là et c'est plus le cas) et très maladroite. Je vous passe l'histoire mais Le Vilain Petit Canard, à la fin il croit qu'il va mourir et que les cygnes vont le tuer parce qu'il est trop moche mais en vrai lui il est devenu un super beau cygne tout blanc et il se barre avec ses potes cygnes et il emmerde tous les jaloux qui ont passé leur vie à le faire chier. Tout ça sur le final du Lac des Cygnes, ça allait crescendo, et moi je chavirais : d'abord les yeux humides, le coeur dans la gorge et pour finir les sanglots parce que je comprenais juste que c'était une histoire triste à mourir de bébé canard rejeté par sa maman et c'était trop triste.
Bon, j'ai changé depuis et j'ai découvert David Bowie, toute seule, comme une grande. Il est entré dans ma vie comme une tornade blonde. Je crois que la première chose dont je me souviens c'est son clip de “Ashes to Ashes”, je sais pas comment je me suis débrouillée pour le voir parce que c'est le genre de truc qui passe qu'aux “Enfants du Rock” le samedi soir après Drucker, donc il faut un peu galérer et gratter les parents pour pouvoir mater l'émission. Les miens ils étaient intraitables jusqu'à l'année dernière, là ça va mieux mais bon c'est toujours un peu tendu.
Je pense que le clip m'a fait un peu flipper la première fois que je l'ai vu. Quand il était pas en clown, il était en Major Tom dans une cellule capitonnée et il faisait super peur avec ses regards caméra, et il avait l'air si dingue je me suis dit, voilà ce mec c'est moi, il est à sa place nulle part et c'est pour ça qu'on le voit partout. Ma chambre s'est couverte de ses posters que je trouve dans “Salut” et “Rock et Folk”. Mon préféré est situé au dessus de ma collection de BD, il a une attitude pensive, on dirait un peu une statue, il a ses longs doigts repliés, sa mèche sur le côté et une chemise à raies. Son oeil vert me scrute je le trouve terrifiant et fascinant la fois. J'attends qu'il se décide, c'est toujours lui qui commence. Je mets le 33T de “Let's Dance” sur ma chaîne et les premières mesures de “Modern Love”, cette chanson géniale se font entendre.
I catch a paper boy
But things don't really change
I'm standing in the wind
But I never wave bye-bye
But I try
I try
“Are you sure you're trying hard enough little girl?” 'Tu es sûre que tu essayes assez Petite Fille?"
Sa voix grave et caressante est sortie de je ne sais où. Son sourire est toujours aussi mystérieux mais je vois ses yeux si différents l'un de l'autre s'allumer d'un lueur moqueuse. Il sait que dès que j'ai le coeur gros, ce sont ses disques que j'écoute. Il n'est jamais très chaleureux mais le seul fait qu'il me parle entre toutes les filles et les garçons qui le vénèrent sur terre (c'est rigolo j'ai appris qu'en latin, vénérer et cultiver c'est le même verbe ), ça me suffit. David, je l'aime et je le cultive. Le seul truc qui me dépouille c'est qu'il a presque l'âge de ma mère . J'aurais trop aimé être une de ses proches ou être lui.
Extrait du Clip censuré par MTV!
China girl commence, cette chanson devrait me pomper l'air depuis longtemps mais non! Je me suis planquée pour voir le clip censuré où on voit ses fesses, la promo qu'ils avaient fait pour l'émission 22 Vlà le rock ! (sur TF1). Le cul de Bowie pire que la bombe H celle qui va tout destroy même que c'est à cause de ça que les punks ils disent No Future toutes les trente secondes. Je confirme j’ai vu ses fesses et c'était de la bombe, je sais pas vraiment ce que c'est que faire l'amour ni comment ça peut se passer (enfin techniquement si mais bon c’est un peu hard à imaginer) mais moi je sais que j'aimerais trop que ça ressemble à ça sur une plage au coucher du soleil avec les vagues autour même si c'est sûr le sable ça rentre sûrement dans les fesses et que le sel ça gratte. Et avec un mec du genre David Bowie même si dans la réalité j'aime pas trop les blonds j'ai un gros faible pour les petits bruns aux yeux noirs qui pétillent genre vous-savez-qui mais jusqu'à présent ça a été plutôt la cata.
J'ouvre la fenêtre, il pleut. Je sors le déo Narta et une Royale Menthol que j'allume.
“Are you OK, little girl?” “Tu vas bien Petite Fille?”
“Just feeling a little blue, as usual.” “J’ai le blues comme d’hab.”
“Oh no, don't tell me it's about that Marc asshole again! What the hell, girl, do you think he is THAT important? Was he even in love with you? I mean like ever?” “Ne me dis pas que c’est encore ce connard de Marc, mais il est si important? Est-ce qu’il t’a jamais aimée?”
“I don't know Dave, he dumped me for some no-bra-slut that's all I know and now he's been seeing that clueless blonde who doesn't know a thing.” “Je sais pas il m’a larguée pour une salope sans soutif et maintenant il voit cette blonde trop conne”
“Come on, this was months ago, you should be over him by now.” “Mais c’était il y a des mois, faut passer à autre chose!”
Il est marrant lui et ses yeux noirs, son Kway vert pomme, sa dent de requin et sa lettre pleine de fautes, j’en fais quoi moi? Je veux pas le vexer, je lui dis oui.
Je vais traduire la suite en français.
“Dis donc , j'suis partout dans ta chambre.”
“Oui, j'en ai trouvé un dernier dans Girls, j'en ai quinze en tout de posters. Ne regarde pas celui sur la porte, ma soeur a écrit Bowie = homo et l'a déchiré. On s'est battues à cause de ça. Je suis désolée. Et puis elle m’avait fait croire qu’elle avait enregistré du Kim Wilde sur ta cassette de Scary Monsters.”
“Je suis pas homo, je suis bi.”
“Oui, je sais mais ici les gens ne font pas la différence et on me dit des tas de trucs au collège à cause de ça mais moi je m'en fous.”
“C'est quoi ce cahier ? On dirait un truc chinois.”
“ C'est mon journal, je l'ai acheté en Allemagne, j'ai pensé à China Girl quand je l'ai vu.”
“ C'est pas un truc pour publier”
“Non, t'inquiète. C'est juste pour moi et pour la Vieille Isabelle , celle qui me lira dans longtemps. Et puis je suis pas assez douée pour çà.”
“ OK. Tes cheveux ont repoussé; c'est fini la Coupe Sanglier?
“Ouf, oui ça a repoussé j'irai plus jamais chez le coiffeur c'est que des connasses qui veulent te faire des mini-vagues nulles.”
Ca le fait rire
“Je voudrais juste que tu m’emmènes Dave que tu m’emmènes loin de tout ça. Regarde c’est pas pour moi personne comprend l’anglais pour se procurer de la bonne musique c'est la galère et il pleut une fois par an. Comment tu veux faire?”
“Je ne sais pas. Si déjà tu pouvais éviter de t’accrocher à des gens qui ne t’aiment pas ça serait déjà bien.”
Voilà “Putting Out fire”passe c’est une de mes préférées également. Dave claque des doigts et commence à faire du playback sur les paroles.
See these eyes so green
I can stare for a thousand years
Colder than the moon
It's been so long
And I've been putting out fire
With gasoline
Feel my blood enraged
It's just the fear of losing you
Don't you know my name
Well, you been so long
“C’est la couleur qui te perd Little Girl. Lâche les yeux noirs et trouve une autre teinte. Les yeux verts c’est pas mal”
Il revient dans sa posture et ne bouge plus. Il est redevenu statue. Je m aperçois que j ai collé le poster de travers. La cigarette me fait tourner la tête, j’ai un drôle de goût dans la bouche.