J'ai treize ans trois quart et c'est une douleur de coeur, rien qu 'une douleur de coeur.

J’écris du cours de français, je viens de terminer une rédac nulle. Je fais souvent ça quand je finis en avance surtout les interros de latin, là j’ai encore plus fini avant tout le monde, vu que j’apprends rien. Je pense à Qui Vous Savez. (à MARC! )

Le jour où il m’a larguée, j’ai cru que le ciel me tombait sur la tête et j’ai bien compris ce que c’était que d’avoir le coeur brisé. J’ai senti immédiatement à quel niveau ça se situait, ça faisait un mal de chien. Quand j’étais petite, mon conte préféré c’était “La Petite Sirène” avec le “Le Vilain Petit Canard”, oui je sais c’est pas les plus réjouissants. Mais on disait, “la petite sirène sentit son coeur se briser” et à l’époque j’étais en CM2 j’y comprenais rien mais là même une semaine après la rupture  je le sentais encore en morceaux dans ma poitrine et ça me remontait dans la gorge comme quand on a une chipster coincée dedans.

J’ai pensé à me suicider tout de suite et puis je me suis dit qu’il viendrait sûrement avec sa nouvelle chérie à mon enterrement alors bon ça m’a calmée. Il est jamais sorti avec la cagole sans soutif en plus mais avec Aurélie, la même qu’Isabelle son ex de sixième avec des jolis cheveux blonds lisses, une qui rit pas trop fort, qui fait jamais rien tomber et qui sait sûrement colorier sans dépasser. En plus elle a des jambes qui m’énervent, le genre toutes droites de haut en bas, comme un jet de lait, les mollets et les cuisses du même diamètre et quand elle met des minijupes a volants ou des caleçons à damiers bin elle est pas ridicule. Moi, j’ai les cuisses qui frottent quand il fait trop chaud et ça fait des boutons, pas les mêmes qu’après l’épilation du maillot (oui ça y est je l’ai fait, ça fait un mal de chien et ça saigne même que l’esthétichienne elle te remet carrément une couche du truc chaud et vert bouteille là où c’est plein de sang bref c’est ultra gore). Je suis sûre qu’Aurélie  peut s’enfiler des tonnes de RAIDER et de TREETS sans problème comme les pouffiasses habillées à la Jane Fonda dans les pubs qui baffrent des doigts coupe-faim entre deux grands écarts au cours de modern-jazz.

Marc sort donc avec Aurélie, j’en peux plus de les voir furer à tout bout de champ, elle avec ses longs cheveux blonds on croirait la Barbie Twirly Curls

BARBIE TWIRLY CURLS

et lui avec son air con et supérieur qui lui met bien les bras autour du cou pour montrer à qui c’est tout ça. Je me demande s’il a emmenée là où il m’a dit qu’il m’aimait la première fois. On n’était pas encore sorti ensemble, c’était au cinquième étage du bâtiment central du Lycée, je dis bien du Lycée, pas du Collège, là où on n’a jamais le droit d’aller même que si tu te fais choper tu te fais ouvrir en deux. On était assis sur les marches de l’escalier, on se touchait pratiquement pas, on se tenait à peine la main, moi je m’appuyais légèrement contre lui et je me voyais si belle dans ses yeux noirs qui brillaient que je suis tombée amoureuse de ce reflet. J’avais trop envie d’être cette fille là celle qui n’a pas les cuisses qui se touchent ni des cheveux dans tous les sens ni un grand nez (ma mère me dit toujours que j’ai un grand nez alors la coupe sanglier c’est parti de là, elle pensait que ça m’irait bien et moi je l’ai écoutée comme une conne). J’osais à peine le toucher, je m’appuyais un peu contre lui, je pouvais sentir son souffle, il portait un Kway vert clair ce jour là, je l’avais jamais vu avec avant,  j’avais si peur que ça s’arrête, ce moment suspendu comme ça avec ses yeux qui me caressaient.

Il m’ a écrit sur un bout de papier avec un Ball Pentel vert “Take Care Rio”, j’ai pas compris sur le coup, je croyais que c’était la chanson de Duran Duran “Rio”, vous savez celle où les nanas se prennent de la glace fondue sur leurs maillots échancrés brésiliens (donc jonglage au niveau pilosité, maintenant c’est bon j’ai compris) et où Simon le Bon téléphone d’un bateau avec un appareil bleu océan assorti aux costumes de ses potes avec des paroles trop intelligentes.

Her name is Rio and she dances on the sand

Just like that river twisting through a dusty land

Son nom c'est Rio et elle danse sur le sable / Comme ce fleuve qui se faufile à travers un pays plein de poussière.

(Je me demande s'il n'y a que moi qui passe ma vie à traduire ces chansons et à les trouver débiles. En plus Rio c'est au Brésil pas au Mexique et dans le clip on les dirait aux Bahamas où je sais pas. Sans doute qu'ils se disent "Ha ben on va au soleil avec des canons, on les peint en n'importe quoi et voilà"...)

En fait, "Take Care Rio" c’était “Te quiero” en espagnol, parce que Marc est espagnol d’origine et moi j’avais pas pité que ça voulait dire “je t’aime” . Il a ajouté “Et ça me fait peur” et sur le moment j’ai pas compris. Enfin peut être que lui il avait compris qu’on avait rien à foutre ensemble parce mon coeur il a la Coupe Sanglier ou qu'il se coince comme une chipster dans ma gorge, que je fais rien comme les autres, que je pleure tout le temps et que je l’aime d’un amour bien plus grand que la mer lorsque je la regarde du balcon de mon Cabanon à Ensuès-la-Redonne. Peut-être qu’il a compris ça bien avant moi mais moi merde je voulais juste continuer à lui tenir la main et me serrer contre son Kway dans l’escalier du Lycée un jour de pluie avant que ça sonne.