jeudi 19 janvier 2017

J'ai treize ans et demi. Jour 53. Retour sur ma Totale Eclipse du Coeur en Cours de Musique à cause de MARC MARC MARC MARC. Part I



Cher Toi Journal, seul confident de ma vie pathétique

Je m'aperçois que je parle de Marc, de Marc et encore de Marc mais que je n'ai pas VRAIMENT parlé de lui, enfin de dire qui il est exactement. En fait, je suis amoureuse de lui depuis toujours, enfin depuis la sixième, on a toujours été dans la même classe jusqu'à cette année (et l'Abominable Redoublement). Je me souviens très bien, la première fois où je m'en suis aperçue, on était en cours de musique avec la vieille prof  qui a au moins cent ans et on chantait en allemand avec l'assistant qui s'appelait Dieter comme le mec dans mon livre d'allemand d'ailleurs, Dieter Schmitt qui a la tronche carrée comme tous les autres gars du livre, putain je te parle même pas de la gueule à Herr Neumann, c'est du gros délire, il a un menton de deux kilomètres. L'allemand, ça nous gonfle tous, on y comprend que d'alle et puis il faut cacher le dialogue du bouquin pendant que la prof elle fait passer le son sur son tondbandgerät, son magnétophone de l'espace là avec les deux grosses bandes, et il faut deviner ce que disent les mecs avec les tronches carrées et c'est une vraie salope, la prof, elle nous prend les carnets si on essaye de tricher. Donc l'allemand, ça vaut le coup que pour les assistants, ils s'appellent tous Dieter ou Georg ou Ute et ils nous scient avec leurs sandales, leurs chaussettes et leurs pulls tricotés par leur Oma je pense, et ils ont pas de cils mais pleins de poils, ils sont mortels, on se marre bien avec eux, ils nous refilent des badges “Nuklear, Nein Danke.” et on parle français ou anglais avec mais jamais allemand . Et là, Dieter il nous faisait chanter “Die Geige sie singet.”, en canon, avec la prof au piano, et moi j'avais super honte de ma voix parce qu'elle est très forte et les gens me disent tout le temps “Chut” ou “Mais, t'es sourde tu t'entends pas.” et tout à coup, je remarque la nuque du gars devant moi, c'était en septembre, on avait chaud dans les préfabriqués, je vois juste son cou tout bronzé et ses cheveux très bruns (j'aime pas les blonds sauf David Bowie, je crois que je l'ai déjà dit) et là mon cœur s'est total destroy dans ma poitrine, je l'ai senti, juste en voyant son cou, j'ai su que c'était lui.  J'imaginais ma main dans ses cheveux, en train de caresser l'arrière de son crâne, il avait les cheveux longs mais j'étais persuadée qu'il avait une jolie tête toute ronde, un peu comme les bébés. Après j'en ai rêvé pendant des semaines, qu'il venait me sauver, le collège était attaqué et il venait me chercher parce que je m'étais cachée dans l'armoire. Ou alors, çà c'était un de mes rêves préférés, j'avais plus d'argent, j'étais à la rue et lui il fouillait toute la ville pour venir me retrouver et  je m'évanouissais de faiblesse dans ses bras parce que j'avais rien mangé depuis des jours et lui il était super heureux de me retrouver. Çà c'était mes rêves, la réalité c'était bien plus pourri, il en avait rien à cirer de moi, même il est sorti avec ma meilleure amie de la sixième qui s'appelle Isabelle, comme moi. Ils se sont donnés rendez-vous un samedi aux Chartreux devant Dany Coiffure pour aller au cinéma ensemble, j'avais chopé un de leurs mots, j'en étais malade. Je faisais le jeu à la con pour savoir notre pourcentage d'amour, avec les lettres qu' on a en commun dans nos noms et prénoms mais c'était naze, on a plein de lettres dans nos noms tous les deux mais pas les mêmes. Un jour, quelqu'un est allé lui dire que je l'aimais et voilà, la super honte, pire que le jour où les gars de la classe ont découvert des serviettes Nanas dans ma trousse Pierrot Love. Bref, vous avez compris, j'en ai bavé pendant presque trois ans, jusqu'à l'année dernière donc. A la boum de Marie-Pierre, on est sorti ensemble. Il faut dire qu'entre temps, moi j'ai viré mes tresses, j'ai commencé à me maquiller, à fumer des Royale Menthol et à dire des gros mots,  j 'ai parlé de ma poitrine donc j'y reviendrai pas, mais bon on m'a regardée d'un autre oeil, j'ai rencontré David Bowie et surtout je suis sortie avec un mec de QUINZE ANS, une bête en latin il me faisait tous mes devoirs, que j'ai largué pour Marc d'ailleurs, même qu'il était drôlement malheureux. Et voilà, miracle, à cette Fabuleuse Boum du mois de juin, Marc m'invite à danser un slow. Il est trop bien habillé tee-shirt rouge pantalon jaune et une dent de requin autour du cou, moi j'ai écouté ma mère, pour une fois c'était pas bidon son avis, j'ai des sandales caramel à talons achetées en Italie, un short et une chemise façon safari ou saharien je sais pas. J'ai les jambes bronzées, les cheveux plus clairs, j'ai piqué la Terracotta maternelle, je sens Eau de Rochas et Marc me prend par le cou et m'embrasse. Et le monde s'écroule, comme dans la chanson de Bonnie Tyler “Every now and then, I fall apart.” et je me fous de tout, du collège, de mes parents, du tondbangerat et des Nanas de la trousse Pierrot Love, il y a plus rien qui compte que cet instant précis où il m'embrasse, parce que je l' ai tellement attendu. Et le temps s'arrête, je revois sa nuque brune et sa tête ronde qui se penche pendant le cours de musique et JE SAIS, JE SAIS tellement que je l'aimerai toute ma vie .
to be continued


dimanche 1 janvier 2017

J'ai treize ans et demi. Jour 52. La Boum Part III

Bon je reprends. J'étais donc à mon Carambar dans la bouche et Norman avec la main sur mon épaule. Même pas il me dit tu danses, ni rien, moi je vois juste ses yeux bleus frangés de longs cils et son nez parfait avec pas un point noir dessus. Il a la peau blanche et rose comme un bébé, des cheveux très sombres, un peu bouclés, je crois qu'il a mis du Studio Line à mort dessus parce que ça sent à fond. Il pose ses mains sur ma taille et commence à me serrer quand même un peu plus que les autres. Le slow, c'est quand même toute une technique, enfin surtout pour la fille, parce que les mecs à part envoyer les mains et esquiver les gifles c'est quand même assez basique. Enfin si, faut quand même qu'ils osent nous inviter à danser mais des mecs comme Norman ça leur pose jamais de problèmes, ils se font jamais rembarrer, toutes les filles attendent que ça.
 Donc les filles déjà il y a un problème, entre tapisserie et un moche qui invite que faire? Evidemment, tout est préférable à la tapisserie, du moins au début de la série des slows, les belles nanas (les minces à cheveux lisses qui rient pas trop fort) elles se font inviter d'entrée par des beaux, mais les moyennes comme moi, on est emmerdé, si les beaux sont occupés, bin il reste les autres, et le problème du pas beau c'est qu'il risque de danser toute la série avec toi ou alors d'essayer de te rouler une pelle direct (ils ont l'énergie du désespoir), so what? Ce qui est sûr c'est que le pas beau on le colle pas, on lui remonte les mains  dès qu'elles descendent un peu sur les fesses, mais même un beau on le laisse pas faire sinon on se fait traiter de pute direct, c'est arrivé à Nathalie, deux mains  dans les poches arrières de son jean's blanc et voilà, tout le monde a dit qu'elle avait le feu au cul. Les boums en fait c'est comme un village de 35 habitants avec un stroboscope, des maxi 45T et du Pschitt orange, on sait ce qui se passe en 10 secondes et les réputations se font  en deux/deux.
Norman me serre donc, au son du saxo. Je connais la chanson par cœur mais bon là j'ose pas  chanter parce qu'en général ça me réussit pas trop, j'essaye pour une fois d'être la fille aux cheveux lisses qui rit pas trop fort, qui s'empiffre pas de crêpes pour oublier son malaise et qui dit pas deux gros mots à la seconde. Pourtant, elle est tellement belle cette chanson, je revois George Michael en train de serrer ses poings et de fermer ses yeux très très fort parce qu'il souffre d'avoir trompé sa nana.
I m never gonna dance again/ Guilty feet have got no rhythm/ Though it's easy to pretend/ I know you're not a fool”.

Je ne danserai plus jamais / les pieds coupables n'ont pas de rythme/ bien qu'il soit facile de faire semblant/ je sais que tu n'es pas une idiote.

Je pourrais lui expliquer à Norman, lui dire que je traduis les paroles dans ma chambre avec mon Robert et Collins en passant et repassant le 45T dans mon mange disque orange Pépito. Sur la pochette, on voit George Michael en noir et blanc qui croise les bras en regardant vers le haut. Moi aussi je pose comme çà sur les photos parce que sinon j'ai l'air d'une demeurée quand je regarde en face avec mes yeux marrons de cochon. Mais je lui explique rien, je suis trop occupée à sentir son souffle dans mon cou et ses mains qui me caressent le dos. J'arrive pas à croire qu'il me drague et en plus sur mon slow préféré. Je sens ses lèvres qui remontent le long de mon cou, elles sont chaudes c'est incroyable et çà me fait un petit frisson. Il se dégage un peu, prend alors mon menton, le relève et me dépose un baiser sur le coin de la lèvre. Nos pieds continuent à bouger, le saxo s'excite à mort. Je sens mes genoux tout mous. Je veux pas faire la fille qui sait pas embrasser, alors j'ouvre la bouche et je tourne ma langue autour de celle de Norman. C'est pas terrible en fait, j'ai horreur de çà, je me demande si au cinéma, ils font vraiment des trucs pareils ou s'ils  se mettent des bouches en plastique c'est vraiment dégueu, et puis c'est dangereux tu peux te cogner les dents et je parle pas des microbes. Norman a fini de faire son Rob Lowe alors il me lâche, j'ai plutôt mal au cœur et envie de pleurer et pourtant toutes les autres filles me regardent avec envie.

So I never gonna dance again/ The way I danced with you.

Je ne danserai plus jamais/ Comme je dansais avec toi.

C'est George Michael qui dit ça. Il me le dit à moi, parce qu'il sait que Marc, je l'aime encore et que je peux embrasser tous les mecs de la terre, j'aurais toujours envie de pleurer.


17h00 :  la boum est presque finie, Norman rigole avec ses potes. Je vois le petit diamant qui brille à son oreille. Il me regarde pas. Je ramasse mon blouson Façonnable, j'ai un drôle de goût dans la bouche. Ma mère vient me chercher en voiture, me demande pourquoi je fais la tête. Je réponds rien, je pense au dimanche de merde qui va suivre et aux maths qu'il va bien falloir faire.

Bisous les gars

Isabelle