lundi 17 avril 2017

Histoire de l'Oeil ou comment j'ai compris qui était le mec de la perm aux yeux pers.

Ouf je reprends ...
Je suis descendue du 11 à l'arrêt qui se trouve juste devant chez moi. J'ai vu à nouveau ce couple d'aveugles, un homme et une femme, ils ont peut être vingt-cinq ans mais je sais pas leur donner d'âge. Ils ont des cannes blanches tous les deux. Lui en fait est juste malvoyant puisqu'il la guide, son iris part dans le mauvais sens, . Elle a des lunettes fumées et on dirait que ses yeux sont enfoncés dans leurs orbites. Lui il peut même lire mais il est obligé d'approcher la fiche horaire de la Flèche d'Allauch très près de des yeux. Je sais pas pourquoi ils me fascinent autant. C'est la façon dont ils peuvent compter l'un sur l'autre je crois, ou leurs yeux qui ne servent plus à rien. Peut-être parce qu'ils font le même trajet que moi, bus-métro assez souvent pour que je les croise.
Je suis rentrée à la maison mais je suis vite ressortie pour me caler près du puit de notre jardin. Comme ça, je peux fumer ma Royale Menthol tranquille, c'est une longue, un 100's que j'ai piquée dans le paquet de ma mère. J'ai appris la semaine dernière à aspirer la fumée, à ne plus crapauter parce que ça fout la honte, à la faire rentrer dans mes poumons et la recracher. Comme ça les Grands se foutent plus de moi. Je dis “les Grands” c'est juste les mecs de Troisième qui ont redoublé, ceux qui fument planqués dans la Cour d'Honneur pour faire croire qu'ils sont en seconde qui friment parce qu'ils ont des Daxs ou des
Chapis   des mèches sur le côté. En vrai c'est juste des mecs normaux mais en plus cons et plus frimeurs, ils ont les mêmes Chabrands, Burlington et Wayfarer que les autres en fait.   Mais ils se prennent un peu pour des coqs  à la Tom Cruise dans Risky Business et nous les filles on fait partie de leur basse-cour .
 Je suis donc là, calée la tête appuyée contre le crépi rose du puits et je me concentre sur ma Royale Menthol. C'est bon, c'est frais, même si ça fait tourner la tête, je repars dans les yeux des Sylvidres, mon journal contre moi, les roses trémières se mêlent à mes cheveux. Je repense à ce territoire infini que j'ai aperçu. J'ai des jungles dans la tête depuis longtemps, depuis que ma mère m'a prêtée sa boîte de pastels pour je ne sais plus quel dessin naze où j'ai du avoir un note de merde encore. (mon prof de dessin c'est un authentique connard qui humilie bien les élèves mais un des ces quatre je vais soigner son portrait ). Je me suis éclatée avec cette boîte, même si je ne sais pas colorier comme vous le savez. Je me suis mise à traquer la moindre nervure de feuille de ficus dans les pots de terre de la véranda et Dieu sait que j'en avais rien à foutre des plantes auparavant, pour me perdre dedans et me retrouver dans le territoire de l'Inini. Je sais pas ce qu'il m'a pris, c'est devenu une obsession de dessiner ces jungles, peut être que j'ai dans la tête un endroit en bas de mon village en Corse. Ça
le Trou du Diable
s'appelle le Trou du Diable, là bas on dit on va se baigner “au fleuve”, on y voit des cascades blanches se jeter dans des vasques d'eau noire, tout y est incroyablement vert et je me dis que ça doit ressembler à ça l'Orénoque ou l'Amazone. C'est un endroit dangereux, des gens y sont morts, des jeunes emportés par une crue mais c'est tellement beau et sauvage . Je repense aussi à Raymond Maufrais dont mon père me faisait lire le journal quand j'étais petite. Ça me fascinait ce type parti seul sur la piste de mystérieux Indiens blonds, englué dans les jungles de Guyane délirant de faim pour finalement se jeter à bout de force dans les remous de la rivière Mata et y disparaître en laissant son carnet de notes derrière lui. Je repense à tout ça et je pense à cette chanson d'Yves Simon  Amazoniaque, c'est un peu idiot, je n'aime  pas trop les chansons françaises mais pour le coup les paroles sont magiques.


Mes nuits d'insomnie j'me perds dans les forêts d'Amazonie 
Dans tes ch'veux, tes bras qui m'enserrent, c'est bien là que j'me perds 
Les indiens d'Amazonie attrapent au cœur des maladies 
Contagion express envoyée par courrier civilisé 


ma jungle au pastel
Je sais donc où j'ai vu ce mec avec ses yeux de Sylvidre. En fait c'est pas du tout au fin fond de l'Amazonie mais au fin fond de la cave qui nous sert de cantine, au réfectoire quoi. J'explique en début d'année on a réparti les tables selon les classes, moi je suis en 4e 1 donc ben j'aurais du être avec les gars de ma classe sauf que mon nom commence par un R, donc fin de l'alphabet égale malédiction, y avait plus de place et je me suis retrouvée exilée à la table des 4e6. Comme ça, ça l'air de rien mais en fait c'est un truc hyper important, nous les 4e1 je l'ai dit on est une classe CAMIF, bilingue allemand avec latin machin donc  on est considéré comme des gros lèches dans ce bahut. Mes parents ont du faire des pieds et des mains pour m'y faire rentrer, il fallait une dérogation. Les 4e2 ils ont Russe en première langue donc c'est des phénomènes aussi, avec des parents encore plus profs que les nôtres qui votent tous PCF et qui pleurent sur la trahison de Mitterrand, les 4e3 c'est allemand mais pas bilingue. Donc en gros de 1 à 3 t'es un intello et de 4 à 6 t'es dans la dead zone avec les zombies et les loup-garous! Tout ça pour vous dire que me retrouver à la table des 4e6 c'était pas innocent et que je faisais pas la maligne de peur de me faire tirer les tresses et traiter de boudin même si je suis plus une victime comme en CM2. Et à ma table, il est là ce mec aux yeux verts et à la peau très blanche, un mec de 4e6 donc. Au début de l'année, je le regardais même pas, il me faisait peur et puis il était super mal fringué, un jean neige horrible des trucs de chez Harry Landers trop moches. Là il a coupé ses cheveux, il s'est acheté des Creepers et un pardessus maxi fendu jusqu'aux fesses. Il ressemble à Norman. Comme ça et avec ses yeux verts un peu comme ceux de David Bowie, même si Dave est incomparable, il est vraiment craquant. Il a les yeux pers, j'ai appris ça quand ma mère me parlait de l'Odyssée, Athénée aux yeux pers, Athéna Nikè, la déesse aux yeux verts. (une fois la mère de mon amie Bérénice est entrée dans un magasin en demandant des Nikè pour sa fille ça nous a fait mourir de rire mais Nikè c'est la victoire, c'est ça d'avoir des mères qui ont fait du grec.)
En fait en fouillant un peu, j'ai découvert que ce mec s'appelle Frédéric. En vrai, on se connaît pas, on se fait pas la bise ni rien. Mais là, j'avoue que son regard pers m'a troublée, qu'est-ce-qu'il veut ? Est-ce qu'il serait possible qu'il veuille sortir avec moi?  Est-ce qu'enfin je pourrais connaître un deuxième rêve tout aussi beau que le premier ?

Il faut que je découvre ça au plus vite, j'ai hâte. Je retourne dans ma chambre pour mettre
le 45T d'Alan Parson's Project dans mon mange disque PEPITO.

I am the eye in the sky
Je suis l'oeil dans le ciel
Looking at you
Qui te regarde
I can read your mind
Je peux lire tes pensées
I am the maker of rules
C'est moi qui établit les règles
Dealing with fools
Qui manie les imbéciles
I can cheat you blind
Je peux tricher tu n'y verras que du feu
And I don't need to see any more
Et je n'ai plus besoin de disposer de la vue
To know that
Pour savoir cela
I can read your mind, I can read your mind
Je peux lire tes pensées, je peux lire tes pensées


2 commentaires:

  1. MDR 😂 la numérotation des classes ! Moi aussi, j'étais dans les R (Richard 😒), alors je te comprends...

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  2. Totalement fasciste comme système! merci des coms ça fait plaisir!

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